Le conseil municipal a autorisé le maire à effectuer une demande de subvention sur la réserve parlementaire de Catherine Procaccia, sénatrice UMP du Val de Marne, afin de procéder à la réfection de l’éclairage public des rues Baüyn de Perreuse et Muette. Une occasion de revenir sur la réserve parlementaire, une pratique qui n’est ni constitutionnelle, ni éthique.
Comment cela fonctionne-t-il ?
Concernant les montants attribués aux mairies, communautés d’agglomérations, etc., ces crédits sont votés avec le projet de loi de finance dans la catégorie Aides exceptionnelles aux collectivités territoriales qui sont normalement utilisées pour être versées aux collectivités « confrontées à des circonstances exceptionnelles, notamment à des catastrophes naturelles » (voir explications sur le site du Sénat). Pour les associations, ces aides sont prélevées sur d’autres budgets.
Les parlementaires (députés et sénateurs) disposent d’une enveloppe qu’ils peuvent attribuer à leur entière discrétion (voir à titre d’exemple notre article sur la réserve parlementaire de Gilles Carrez pour 2014, ainsi que le détail de son utilisation pour les années 2011 à 2014).
Ils distribuent ces subventions à des collectivités ou bien des associations en les « fléchant » qui doivent effectuer une demande « normale » au ministère de l’intérieur.
Quelles dépenses ?
Ces subventions doivent respecter les dispositions du décret n°99-1060 du 16 décembre 1999 et de l’arrêté du ministre de l’Intérieur et du budget du 2 octobre 2002. Aussi incroyable que cela puisse paraître, cet arrêté est introuvable et n’a jamais été publié au Journal Officiel (Ce référé de la Cour des comptes datant de novembre 2014 parle même d’un « arrêté confidentiel »).
Pour ce que l’on en sait, ces subventions sont sensées être utilisées pour des projets d’investissement comportant un intérêt général et ne doivent pas les financer pour une part supérieure à 50%.
En ce sens, le projet que souhaite financer Catherine Procaccia semble correspondre à ce critère. Il n’est cependant pas lié à une dépense exceptionnelle liée à une catastrophe naturelle.
Une pratique épinglée par la Cour des Comptes
La Cour des Comptes, dans un rapport du 27 novembre 2014, préconise que les fonds ne soient plus détournés de leur utilisation théorique, et que son utilisation reste exceptionnelle pour les montants restants.
Elle note également, que les montants alloués au titre de cette réserve explosent dans les périodes précédant les élections et que 40% des subventions ne sont pas éligibles aux critères énoncés plus haut.
Il dénonce également le fait que les projets soient scindés. C’est le cas pour la rénovation de l’éclairage public pour lequel Gilles Carrez donne 100 000 € pour la rénovation de la Grand Rue, et Catherine Procaccia 10 000 € pour Bauyn de Perreuse.
Une pratique anticonstitutionnelle
La Constitution de 1958 indique dans son article 24 que :
Le Parlement vote la loi. Il contrôle l’action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques
Les parlementaires semblent donc méconnaître ce principe fondateur qu’est la séparation des pouvoirs.
En effet, en « fléchant » l’attribution de subventions, ils entrent dans un rôle exécutif, loin du rôle législatif qui est le leur.
Une pratique électoraliste
La pratique de la réserve parlementaire n’est selon nous pas éthique en ce sens qu’elle est électoraliste. Il s’agit d’un moyen utilisé par les parlementaires pour s’assurer les bonnes grâces des électeurs.
Ceci est particulièrement vrai pour les sénateurs qui sont élus, non par les citoyens directement, mais pas les grands électeurs (conseillers municipaux, généraux, etc.).
On comprend donc aisément que cette « cagnotte parlementaire » puisse être un levier pour convaincre les indécis. Cela peut être illustré par le cas de Gérard Larcher (voir cet article dans Médiapart), ou bien dans la vidéo ci-dessous où on peut entendre Jean-Claude Gaudin monnayant une subvention au moment des élections sénatoriales de 2014.
Pour le cas de Catherine Procaccia (UMP), il est difficile de croire que le clientélisme et l’électoralisme ne sont pas au coeur des décisions d’attribution. En effet, comment pourrait-il en être autrement lorsque, sur l’ensemble des montants alloués pour l’année 2013, 80% l’ont été pour des communes de droite (UMP-UDI) et 67% pour des communes UMP ?
Pour la réserve parlementaire de 2014, Catherine Procaccia fait même « mieux » en distribuant 91% de son enveloppe à des communes du Val de Marne (le reste allant à des associations) dont 100% ont à leur tête un maire UMP.
Son collègue sénateur du Val de Marne Christian Cambon assume d’ailleurs complètement cette situation en déclarant dans Le Parisien du 23 septembre 2014 (également téléchargeable ici) :
L’enveloppe est faible, alors j’ai toujours préféré verser aux communes amies qui n’ont pas de parlementaires et qui ont besoin de fonds pour des travaux.
La formulation utilisée dans le rapport concernant la délibération du conseil municipal du 1er juin trahit d’ailleurs le fait que l’argent est alloué à la commune de Nogent PUIS la ville décide de son utilisation (« La Ville souhaite affecter cette aide financière ») : cela tend à montrer que la sénatrice n’a pas financé un projet, mais qu’elle a seulement octroyé une enveloppe à une commune « amie ».
Pour aller plus loin
- Analyse du rapport de la Cour des Comptes sur le site du Point (9 février 2015)
- Les petites histoires de la réserve parlementaire du Sénat, article de France TV Info sur la réserve 2014 (30 mai 2015)
- Notre article sur l’utilisation pour 2014 de la réserve parlementaire de Gilles Carrez (14 février 2015)
- L’utilisation de la réserve parlementaire de Gilles Carrez (2011-2014)
- Délibération votée lors du conseil municipal du 2 juin 2015 à Nogent-sur-Marne
Article mis à jour le 4 juin 2015